"Si j’ai du goût, ce n’est guère

Que pour la terre et les pierres."

Ces deux heptasyllabes en ouverture de l’hermétique poème "Faim" de Rimbaud ne peuvent que trouver un écho chez celui ou celle que la roche et les formations naturelles fascinent. Et je sais ne pas être seul à être "pétrophile" ou à collectionner pierres, cailloux et autres minéraux. Pratiquant la céramique depuis plus d’une dizaine d’années en parallèle de mon activité d’artiste-plasticien, la terre est par ailleurs naturellement devenue le matériau qui nourrit ma création et structure mon approche plastique. Mu l’été dernier par l’envie d’imaginer une "peinture-céramique", j’ai entrepris de réaliser divers panneaux à la croisée des deux disciplines. Comme des plaques réalisées sans cuisson, mes premiers tableaux ont été circulaires, le "tondo" me permettant de "sortir du cadre" et d’échapper à la tentation de faire paysage. Quelques uns de ces "géodisques" réalisés pendant l’été 2023 dans un atelier en Catalogne sont présentés dans cet accrochage. Ils ont été rejoints par de petits formats plus récents. Le point commun de tous ces tableaux composites est qu’ils contiennent de nombreux éléments minéraux et pierreux: grains de sable, pierres de lave, débris d’ardoises ou poussière de nacre. Même s’ils n’ont pas cuit à haute température comme les objets en grès et en porcelaine que je confectionne, ces compositions portent chacune en elle la trace d’un destin minéral. Une mémoire lapidaire. 

Depuis janvier 2023, qui a marqué mon entrée dans la cinquantaine, de nombreux voyages ont offert un contrepoint bien réel à ce désir tellurique: la volcanique Lanzarote, la minérale Minorque, les falaises d’ardoise de Snowdonia en Galles du Nord, les spectaculaires formations de lave et de mousse d'Islande, les îles du nord de l’Egée, dont Lesbos et sa fascinante forêt pétrifiée, les carrières d’ocre du Luberon. Très récemment, les montagnes arc-en-ciel de Géorgie, aux frontières de l’Azerbaïjan ou les reliefs du mont Kazbegi dans le Caucase. Ces pérégrinations ont déclenché en moi l'envie de condenser mes impressions de voyageur dans des "mindscapes" minéraux. Les titres des tableaux sont pour la plupart des toponymes de montagnes, de plages, de carrières ou de falaises.

A travers ces géologies "revisitées", j’ai réalisé qu’au fond, depuis longtemps, j’observe et photographie les paysages rocheux et suis fasciné, en néophyte ébahi, par leurs âpres rigueurs, par leurs dessins et leur destins grandioses. Les pierres nous parlent de la nuit des temps et d'un monde qui, quoiqu'en apparence immuable, est en perpétuel mouvement: un monde magmatique et énigmatique. Cet oxymore visuel m’émerveille. Qui mieux que Roger Caillois pour raconter ce magnétisme, lui qui collectionnait les pierres et en fit la matière de ses poèmes. Pour le citer, j'aimerais moi aussi que mes compositions parlent : 

"des pierres : algèbre, vertige et ordre ; des pierres, hymnes et quinconces, des pierres, dards et corolles, orée du songe, ferment et image […] L’homme leur envie la durée, la dureté, l’intransigeance et l’éclat, d’être lisses et impénétrables, et entières même brisées. Elles sont le feu et l’eau dans la même transparence immortelle, visitée parfois de l’iris et parfois d’une buée. Elles lui apportent, qui tiennent dans sa paume, la pureté, le froid et la distance des astres, plusieurs sérénités."

Arnaud Roy

Peintures & dessins confinement 2021