On imagine débarquer sur une île-atelier
terre d'argile
berceau du feu.
Le soleil, sur sa girelle d'inox,
malaxe une attente
façonne une anticipation.
Puis dans la fournaise du printemps
se préparent les rencontres.
Ils seraient seize sur Sifnos
à ce que l'on dit.
Gardiens du temple,
dérisoires.
Seize mémoires d'une histoire de gestes
trente deux mains en tout
pour façonner une île toute entière
dans la fournaise des yeux:
coupelles, rochers, tourelles, bateaux,
buissons d'oursins, cubes de blanc mat
émaillés à la chaux.
Trente deux mains
qui font tourner ce petit monde
ce morceau de terre et de fer
sorti des eaux.
Quelques portes que l'on pousse
d'autres que l’on trouve ouvertes.
Mains que l'on serre.
Il faudra simplement,
Lentement, Installer une confiance
puis lui donner forme
autour d'un verre de connivence.
L'œil immédiatement scrute sans se poser,
tourne et retourne dans l'atelier:
blocs d'argile, photos usées
pots, récipients, ustensiles
à n'en plus finir.
Une à une, les étagères semblent ployer
sous des générations passées courbées,
sous une vie d'argile
toute entière faite d'île, d'un peu d'eau, de lumière et de feu.
Une vie élémentaire.
Il n'y aura pas de cours à proprement parler
comment transmettre en quelques heures une vie de gestes répétés?
Il faudra simplement, pendant quelques instants, lutter contre une petite sensation,
celle d'être là pour voler quoi que ce soit.
On s'en accommode
plus ou moins
Si c'est là le prix à payer.
Le tour se met enfin en marche
figeant le temps autour de lui
girelle d'inox
frein de bois
et tout autour de moi des murs de chaux
couverts d'argile.
On n'aperçoit déjà plus sur le côté
le petit carré de ciel bleu
l'eau qui luit comme de l'émail
et le soleil
fournaise.
Au tour le potier a pris le temps
dans ses poings refermés.
Il le monte, l'aplatit, le monte encore
puis le déploie.
Et dans ces gestes élémentaires
c’est le monde en soi qu'il déploie.
De bout en bout, le regard est concentré sur cette petite boule d'incertitude
qui peut devenir vase, qui devient coupe
quoi que ce soit.
Tout du long on assiste à cette magie quotidienne
à ce petit miracle insulaire:
deux mains qui font naître les choses.
A son tour alors de s'y coller
incertain, comme enfantin
face à ce qui n'est qu'un bout de pâte
à modeler.
La main glisse sur l'argile
comme sur la peau
le tour impose alors son rythme
de terre et d'eau
et soudain le temps s'arrête
ou commence à tourner sur lui même.
Dans cet atelier là
par cet après midi cycladique
en plein printemps.
Le temps se suspend
en plein mouvement
centrifuge
puis lentement il se déploie
semble emplir l'atelier
fissure les murs
sort par les portes et les fenêtres
irradie du dedans.
Que restera-t-il de cette épiphanie insulaire ?
Quelques pots imparfaits
quelques mots échangés
des regards qui se croisent
et surtout ce contact : les paumes sur les mains comme des guides
chaleur et douceur de ces mains de potier.
Il restera une transmission, brève et dérisoire,
dans une histoire de gestes,
millénaire.
On se sourit, se dit à bientôt.
On se reverra assurément.
Au bout du compte,
je repars par le seul sentier qui soit,
les mains vides.
Avec pour unique certitude
cette sensation solide d'avoir,
ne fut ce que l'espace d'un instant,
tenu le temps entre mes paumes.
Arnaud Roy
Sifnos, printemps 2016